Parce qu’elle rythme le texte, fait danser les mots et en dévoile leurs multiples nuances, la ponctuation est à la rédaction ce que le couteau est au cuisinier : une arme puissante pour sculpter, tailler, apprivoiser la matière. Valse de blancs, de majuscules et de petits caractères savamment ordonnés, la ponctuation est un art. Un art vieux de plus de 24 siècles, que la langue et son maniement à travers le temps ont bien malmené, au point parfois d’être tout simplement tronquée, oubliée, voire remplacée. Tiraillée entre règles académiques, délires graphiques et poésie sémantique, la ponctuation est un éternel jeu pour qui aime manier le verbe. Et, plus pragmatiquement, un incontournable pour proposer un contenu de qualité, lisible et correctement compréhensible. Aussi, c’est avec délectation que je te propose de plonger avec moi dans les méandres des points, des virgules, des points-virgules et autres dérivés typographiques.

Du point à l’aubergine, petite histoire de la ponctuation

S’il nous est offert aujourd’hui de traverser mille états émotionnels à la vue de trois petits points sur WhatsApp pour seule réponse, l’histoire de ces petits signes remonte bien au-delà de nos souvenirs de primaire.

En matière de ponctuation, tout débute à l’Antiquité où la ponctuation brille alors par son absence. À l’époque, point de blanc ni de virgule, la règle veut que les scribes se prêtent au sciptio continua, si l’on en croit les premiers manuscrits grecs. Les mots s’y suivent et s’y rassemblent, enfilés comme des perles au fil des phrases, sans pouvoir s’offrir un espace de respiration. La lecture, relativement élitiste à l’époque, en est tout de même fortement contrariée.

A ce problème somme toute mineur, Zénotode propose, au II ème siècle av. J-C, un premier début de solution. En charge de formaliser l’alphabet grec, celui-ci introduit les premières marques de notre ponctuation moderne. Pour l’heure, seuls trois signes sont tolérés à la table d’écriture : le point haut, qui achève une phrase ; le point médian, qui marque une pause moyenne et le point d’en bas, qui signifie une courte pause. Zénotode l’ignorait sans doute mais il venait d’inventer la trilogie indomptable du point, du point-virgule et de la virgule.

Une petite routine qui sera plus ou moins suivie au fil des ans et des régions. D’un moine copiste à l’autre, chacun y va de sa plume et de sa créativité pour articuler le texte autour de ces drôles de signes. Il faudra attendre le Moyen Âge pour attribuer à la ponctuation une nouvelle vertu : celle d’améliorer l’intelligibilité du texte. Une époque qui marquera également l’arrivée de la virgule suspensiva, vulgairement renommée le slash

Au 13ème siècle, agacé par ce désordre typographique, Gaspard de Bergame entreprend d’apporter un peu de structure à l’ensemble. Il édite alors le premier traité de ponctuation, tout un corpus de règles à suivre à la virgule près. C’est également à lui que nous devons l’avènement du point d’exclamation et des parenthèses.

En 1527, Geoffroy Tory réitère l’exercice avec un succès mitigé. Finalement, 20 ans plus tard, c’est Etienne Bolet qui remporte la bataille du point. Il édite lui aussi un petit traité dédié à la ponctuation. Le point haut y perd de sa superbe pour atterrir en bas de ligne. Le point d’en bas, lui, se courbe pour épouser la virgule. Par cet élan, Etienne venait de poser les bases de notre ponctuation moderne au travers des 11 signes qui la composent encore.

Gutenberg !

Pour autant, c’est toujours un peu l’anarchie coté gribouillage des idées. Il faudra attendre Gutenberg et son exceptionnelle invention pour entrer dans le vif du sujet. Soumis à la nécessité de fabriquer en amont les caractères, les imprimeurs deviennent maîtres de la ponctuation. Les textes leur sont livrés bruts et eux, d’un commun accord, disposent ici et là une forme de signalétique qui indique à l’orateur la posture à tenir à la lecture.

Une affaire qui roule plutôt bien jusqu’à ce que le livre entre dans les foyers au 18ème siècle. Soudainement, la lecture n’est plus limitée à l’oral, elle devient silencieuse. Un face-à-face des plus intimes entre l’auteur et son lecteur, une nuée de mots qu’il faut désormais nuancer, ordonner, rythmer. La ponctuation prend enfin tout son sens. Elle se lit, tout autant que le mot. Elle le sert et le dessert quand il s’efface devant elle. La ponctuation devient un jeu – de mots – duquel s’emparent nombre de plumes célèbres, s’insurgeant haut et fort contre le formalisme établi par leurs imprimeurs. Une révolte qui accouchera de chefs-d’œuvre sous la main de Baudelaire, Proust, Céline et tant d’autres.

Puis, patatrak, les années 80 et leurs claviers débarquent. L’on commence à communiquer par messagerie, voire SMS à forfait limité. Le mot devient froid, dénué de toute ponctuation, jugée compressible. L’oralité disparaît au profit de messages alambiqués. On ne se comprend plus, les nuances nous échappent. C’est alors, en 1982, que Scott Fahlman, imagine le premier smiley sourire. Une combinaison de ponctuations, qui assemblées, reproduit le langage du corps pour induire l’émotion, pimenter la phrase, préciser le propos. Début des années 90, le phénomène devient un mot-valise : émoticône, fusion sémantique d’émotion et d’icône. Le graphisme se substitue aux mots, aux blancs, à la ponctuation.

La confusion s’installe, entre un usage particulièrement libre de l’émoticône et une appréciation très normée au sein de son écosystème. Ce petit visage, en plus de dire ce que ton cœur ressent, trahit désormais ton âge, ton réseau de prédilection, ton niveau de "hypitude". Et la virgule, reste au bord de la route, mal aimée, mal utilisée, malmenée, emportant dans son sillage toute la délicatesse de la ponctuation.

Ponctuation, les règles de l’art

Et c’est précisément maintenant que je m’insurge ! Car, si je ne suis pas à l’abri d’une coquille (Ph, une pensée pour vous !), la maîtrise de la ponctuation est tout aussi indispensable que celle de l’orthographe pour qui souhaite produire du contenu textuel. Survolées à l’école, les règles de ponctuation finissent souvent aux oubliettes. Un véritable pêché, face à l’importance de ses fonctions.

Un simple exemple suffit pour cerner la mécanique…

Vous jouez dehors.

Vous jouez dehors ?

Vous jouez dehors !

Vous jouez dehors…

3 mots, 4 histoires. A termes égaux, la ponctuation fait toute la différence !

Et pour cause, elle a pour fonction de :

  • Faciliter le passage de l’écrit à l’oral ;
  • Séquencer l’ordonnancement des mots ;
  • Induire une tonalité montante ou descendante ;
  • Marquer une respiration ;
  • Suggérer une émotion ;
  • Dévoiler ce que le mot ou l’absence de mot sous-entend.

Autant d’ingrédients essentiels à la construction d’un storytelling efficace, avec lesquels il faut savoir jouer. C’est pourquoi, je te propose de chausser mes lunettes d’institutrice académicienne le temps de replonger ensemble dans le petit traité actualisé de la ponctuation. Autrement dit, les quelques règles, en langue française, à maîtriser pour redonner du volume à tes contenus. Au sommaire, nos 11 invités, en lice maintenant depuis plus de huit siècles !... (spoiler : ceci est une combinaison illégale)

Commençons par les signes pausaux, qui sont, comme leur nom l’indique, destinés à marquer une respiration dans le texte. Et par là même, faciliter la lecture, ordonner les éléments, induire le ton de la phrase.

Le point

  • Termine une phrase déclarative, nominale ou sans verbe ;
  • Se positionne après une abréviation ;
  • Marque une vraie pause et une tonalité descendante ;
  • N’est pas obligatoire sur un titre.

Le point-virgule

  • A pour mission de compléter les virgules en séparant des éléments liés par le sens ou des parties semblables, déjà isolées par des virgules ;
  • Marque une pause moyenne ;
  • Achève une énumération verticale : des bullet points ;
  • Créer une relation logique entre les différents groupes de mots.

La virgule

  • Sert à séparer un groupe de mots de même nature, non reliés par une conjonction de coordination (mais, ou, et, donc, or, ni, car !) ;
  • Permet de lever des ambiguïtés de sens en isolant les groupes de mots ;
  • Marque la pause la plus fine ;
  • Elle s’utilise pour :
  • Interpeller la personne à laquelle l’on s’adresse ;
  • Rapporter des propos ou insérer un commentaire ;
  • Avant l’abréviation, etc. (qui n’est jamais suivie de points de suspension) ;
  • Pour mettre en relief un élément de la phrase repris par un pronom ;
  • Au fil d’une énumération, dès lors qu’il n’y a pas de conjonction à l’horizon.

Viennent ensuite les signes mélodiques, qui eux, influent sur la mélodie de la phrase, son rythme, son intention.

Le point d’interrogation

  • Exprime une demande ;
  • Induit une tonalité montante ;
  • Est entouré d’espaces insécables.

Le point d’exclamation

  • Se positionne à la fin d’une interjection ou pour exprimer une émotion forte, voire un ordre ;
  • Est précédé d’une espace ;
  • Se traduit par une intonation montante.

Les points de suspension

  • Suggèrent une extension de l’idée, une phrase en suspension, une mise en relief de la pensée ;
  • Ne sont pas précédés d’espace.

Les deux points

  • S’utilisent pour relater un propos, lister une énumération ou introduire une explication ;
  • Sont précédés d’une espace insécable ;
  • Sont souvent propulsés remplaçant en lieu et place du point-virgule.

Les tirets

  • Soulignent le changement d’interlocuteur ou la mise en valeur d’une idée ;
  • Marquent une pause moyenne ;
  • Sont entourés d’espaces.

Les guillemets

  • A ne pas confondre avec les parenthèses, c’est exaspérant !
  • Ont vocation à encadrer une citation, une expression ou un terme à valoriser ;
  • Sont séparés de la citation par une espace.

Les parenthèses

  • Marquent une pause moyenne ;
  • Sont destinées à isoler une idée, la préciser en associant un supplément d’information ou un commentaire.

Les crochets

  • S’utilisent essentiellement à l’intérieur de parenthèses ou autour de points de suspension.

Te voilà paré comme jamais pour remettre de l’ordre dans tes textes, et surtout tes idées ! Pour en avoir le cœur net, je te partage le véritable secret d’une rédaction de contenu performante : se relire à voix haute. Si tu étouffes avant la fin de ta phrase, c’est qu’elle, au choix, mal ponctuée ou trop longue. Dans un cas comme dans l’autre, il faut trancher.

Ponctuation non standard, le supplément de sens

Tu l’auras compris, la ponctuation, au-delà d’être une véritable passion, est surtout un formidable outil pour mettre en musique les mots, créer la mélodie du bonheur du rédacteur. Si Gorges Sand fut la première à se révolter contre son imprimeur pour reprendre la main sur ses points et virgules, de nombreux auteurs ont teinté leurs écrits de cette fantaisie typographie. Tant est si bien qu’ils ont inventé la ponctuation non standard, paradis de la poésie linguistique, où se croisent ponctuation normée et dérivés graphiques.

Au milieu de ces flopées de tchats, mails, articles et autres légendes Instagram départies des règles de ponctuation basiques, je ne pouvais décemment pas te priver de cet élan de liberté, dont la forme est aussi subtile qu’explicite. Parcourons donc ensemble, pour cette dernière escale, le point d’ironie, le point de doute ou encore l’exclarrogatif. Car si Mallarmé et Apollinaire ont fait le choix de l’imponctuation pour imprimer leur style, d’autres ont osé la ponctuation stylisée pour se démarquer.

C’est donc en 1841 que Marcellin Jobard (!) propose ses points d’ironie, d’irritation d’indignation et d’hésitation à l’Académie. Il se fera recaler en dépit de ses insistances. Finalement, c’est Alcanter de Brahm, qui 50 ans plus tard, remporte la bataille du point d’ironie, qui se trouve être un point d’interrogation à l’envers, marqueur d’un humour à apprécier comme tel. Il est toujours répertorié dans le Larousse, bien que non utilisé, faute d’une touche dédiée.

Hervé Bazin, en 1966, dans un recueil poétique, introduit, lui, le point d’amour, le point de conviction, le point d’autorité, le point d’acclamation ou encore le point de doute. Seul ce dernier survivra sous la forme d’un epsilon inversé. Quant au point exclarrogatif, marquant une phrase à mi-chemin entre question et exclamation, il fut inventé en 1962. Son seul but, donner plus d’impact à une campagne publicitaire. En jouant sur les mots et leurs espaces, car c’est bien là tout notre défi.

Voilà, notre balade s’achève ici. Si la ponctuation mérite d’être respectée, c’est aussi un formidable terrain de jeu. En conclusion, une seule recommandation : amuse-toi !

Crédits Photo : Jim Davies / Sakurambo~commonswiki / Anthem Création