Où que je pose les yeux devant moi, il y a marque. Non pas que je vive dans l’opulence, seulement entourée d’objets estampillés. Petite marque de créateur, grande marque internationale, marque made in France, marque de distributeur, marque inconnue au bataillon, marque employeur ou marque blanche, elles sont partout. De l’échoppe du coin de la rue aux immenses tours d’affaire qu’elles occupent, elles façonnent notre monde. Certaines études estiment même que 10% du vocabulaire que nous utilisons au quotidien est composé de noms de marque. Alors, quel est le point commun entre Netflix et la boucherie Ravot ?! Comment définir un concept à si large spectre ? A ce stade, je pressens d’ores et déjà que la réponse n’est clairement pas des plus simples. Merci l’épisode du dîner clandestin.

Une marque, des définitions…

Pour cette histoire de marque, tout commence au cul de la vache ! Afin d’identifier leurs bêtes, laissées sur les plateaux, les fermiers les marquaient au fer rouge. Un symbole primitif, proche du hiéroglyphe, propre à chacun, destiné à laisser une trace indélébile sur la cible, et par là même, à chaque propriétaire, de s’assurer que ses actifs le restaient bien.

Nommé branding, le marquage au fer rouge donnera son nom à la discipline que nous connaissons aujourd’hui. Une activité dont l’objectif est de dessiner, puis faire vivre un univers de marque. Par la même, nos cow-boys auront donné au Petit Robert une belle première matière pour définir ce qu’est une marque : « un signe matériel, empreinte sur une chose, servant à la distinguer, à la reconnaître ou servant de repère. ».

Définition qui sera reprise, puis enrichit par le Code de Propriété Intellectuelle, qui dans son article L.711-1, définit une marque comme "Un signe susceptible de représentation graphique servant à distinguer les produits ou services d'une personne physique ou morale". En clair, un nom, un son, un signe graphique ou une combinaison de ces éléments.

L’INPI complète le tableau, en apportant une strate complémentaire, celle de la différenciation, de la concurrence. Ainsi, au sens de l’INPI, « une marque est un signe qui permet à une entreprise de distinguer, sans ambiguïtés, ses produits des produits similaires distribués par ses concurrents. Les marques font l’objet d’une protection intellectuelle. ».

Idéales pour le cours introductif de marketing en 3èmeB, ces définitions nous donnent les contours de ce qu’est une marque, mais nous sommes encore très loin de déterminer ce qui en fait sa puissance. Car, toi comme moi, savons que ce qui fait la valeur d’une marque est bien loin de se limiter à un nom qui sonne juste ou un logo qui a de l’allure. Alors, c’est quoi l’ingrédient secret de la sauce ?!

La marque, une construction…

Hormis un logo, une baseline et un nom, qu’est ce qui rassemble mon boucher et la plus grosse plateforme de streaming mondial ? Pourquoi les bobos du quartier se pressent, chaque semaine, pour faire coïncider le petit poulet du dimanche avec la série à ne pas manquer ? C’est quoi le game ?! Toutes les marques sont-elles faites du même bois ? Spoiler : non. Mais, tout de même…

À la base, une idée. Appelons-la, le produit, même s’il s’agit d’un service. Donc, une idée, assez folle, pour penser que d’autres puissent vouloir en bénéficier, sans même souvent savoir qu’ils en ont besoin. Une idée avec ses différences : méthodes, matières, intentions, savoir-faire, ce que tu veux… Une idée, qui forte de ses différences, affirme un positionnement.

Ce positionnement porte avec lui une histoire, des valeurs, une expertise, un engagement. Souvent, celui des fondateurs. Parfois, celui du produit lui-même. Une histoire, qui devient le terreau d’une identité de marque. La marque dépasse alors le simple duo nom logo, elle devient porteuse de sens. Elle a un message à partager, un territoire à conquérir.

Mon boucher était maçon. Il a de la poigne. Et un joli sourire. Un jour, il a croisé Martine en allant chercher son jambon. C’était la fille du boucher. Il est tombé in love. Mais, le père de Martine lui a gentiment expliqué que c’était la boutique et la patronne ou rien. Et que lui, il n’était pas calibré pour. Le bonhomme a troqué sa truelle contre un couteau et depuis, il dépèce jusqu’à garnir toute sa devanture des récompenses bouchères les plus estimées. Résultat, ça bouchonne pour un bout de barbaque et il a fait de l’amour sa marque de fabrique, ne loupant jamais une blague cochonne à destination de sa bonne dame !

C’est son capital-marque. La valeur que la marque apporte à son entreprise. Il lui permet de se différencier de la concurrence en offrant quelque chose d’unique : un savoir-faire évidemment, une qualité reconnue, et surtout, une expérience. En racontant à qui veut l’entendre son histoire d’amour bestiale, mon boucher mobilise l’émotionnel. Il valorise son produit en l’attachant à un moment de vie. Chez lui, le poulet du dimanche sonne comme la promesse d’une douce après-midi en famille, bercée par les effluves d’un bon repas et les rires trop forts. Et là, c’est tout un univers de marque qui se dessine, remplissant au passage son tiroir-caisse.

La marque devient alors créatrice de sens et porteuse de valeurs. Elle facilite l’identification et stimule l’attachement en proposant une expérience au-delà du produit. En devenant génératrice de plaisir. Alors, évidemment, certaines marques sont nativement plus à même d’offrir du kiff. Mais, en y réfléchissant bien, entre deux marques pas sexy, ne vas-tu pas privilégier celle qui te donnera le moins de peine ?! Une marque telle que CarGlass en est une belle illustration. Personne ne se réjouit à l’idée de changer son pare-brise, pour autant, laisser Olivier joue avec sa pièce de 2 euros, sans avoir à se déplacer, est toujours plus plaisant que d’attendre 2h à l’autre bout de la ville. La force de l’expérience client au service de la marque.

À ce stade, une marque serait donc :

  • Une offre, suffisamment différenciante, pour écarter la concurrence
  • Une identité, reflétant une promesse, une histoire, des valeurs
  • Une expérience, génératrice de satisfaction
  • Un repère, capable de guider le consommateur dans son choix

Le tout, savamment lié par une stratégie de branding bien ficelée, capable de valoriser chacune des facettes de la marque et de faire écho auprès de sa cible.

La marque, un reflet narcissique

Si la boucherie Ravot a son petit succès dans le quartier, elle ne connaît pas pour autant le retentissement mondial d’un Netflix. Qui lui, a contrario, nous laisse à penser que l’intégralité des humains est connectée, alors que seuls 220 millions des 7,6 milliards d’habitants de cette planète y souscrivent. Deux poids, deux mesures, un seul portefeuille entre le consommateur et la marque. Alors comment décider à qui donner ses deniers ?

Car, évidemment, sur ce terrain, la marque aussi intervient. Il suffit de lire les montants associés à certaines capitalisations pour bien mesurer le poids de la valeur de la marque en qualité d’actif. Alors, évidemment, plus la marque vend, plus sa valeur grimpe…

Retour à notre question initiale, pourquoi certaines marques vendent et pas d’autres ? Et bien, la différence réside sans doute dans la capacité de celles-ci à rapprocher la valeur réelle de la valeur perçue. Revenons à mon boucher. Dans le quartier, sa réputation n’est plus à faire. Il est parvenu à aligner ses planètes : produit – expérience – attachement. Mais, passer les frontières du périph, le père Ravot, tout le monde s’en fout !

À l’inverse, Netflix a sorti, dès son lancement, la grosse artillerie pour créer le sentiment d’un service incontournable. Semaine après semaine, de nouvelles séries s’imposent sur l’écran, au point que ne pas les connaître, c’est passer pour un boulet à la machine à café. Au-delà de l’innovation produit – le streaming prédictif en accès payant - Netflix s’est rendu indispensable en te renvoyant, au quotidien, un reflet de ton moi profond. En te proposant une expérience capable de modifier l’image que tu as de toi, au-delà de l’image propre à la marque.

Ici, la motivation ne réside plus dans la valeur intrinsèque au produit, mais dans l’appropriation de son usage, la force de la communauté, le regard de l’autre. Tout se joue dans la perception de la marque. Une image construite, suffisamment forte, pour induire sur ce que tu veux donner à montrer, et par rebond, la perception que les autres ont de toi. La promesse surpasse de loin la valeur ajoutée du produit, elle s’impose comme un moyen de servir tes ambitions. Au-delà de l’identification, la marque participe alors de la construction sociale.

Un phénomène, qui parfois, se révèle si puissant que la marque devient un nom commun, à l’image du Frigo ou des Kleenex. Position, qui si elle peut paraître enviable à qui cherche à faire émerger sa marque, signe en réalité la fin de la marque. Car, le jour où un vulgaire mouchoir en papier est appelé Kleenex, c’est tout l’univers de marque qui flanche. Adieu, qualité du produit, différenciation, valeurs partagées, expérience, signe distinctif, engagement et histoire. De la marque, il ne reste que l’usage et la trace qu’elle aura laissée dans nos vies.

Jeff Bezos aurait dit qu'une marque "est ce que l'on dit de vous lorsque vous n'êtes pas dans la pièce". C'est une vision assez juste. Finalement, une marque ne serait-elle pas ce que l'on en fait ? Une entité que l'on façonne jusqu'à la laisser s'envoler. Le succès d'une marque ne se mesure-t-il pas au nombre de personnes qui s'y sont suffisamment identifiées pour y adhérer et se l'approprier ? A méditer avant ton prochain rebranding...